Matériaux sous irradiation

L'irradiation des matériaux modifie leur microstructure. Ceci peut être voulu, auquel cas l'irradiation est utilisée pour optimiser les microstructures et propriétés des matériaux ou subi. Dans ce second cas, l'irradiation résulte des conditions de fonctionnement des composants constitués des matériaux considérés. Elle est alors à l'origine d'un phénomène de vieillissement sous irradiation, le plus souvent néfaste aux propriétés d'usage des matériaux.

Au sein de l'ERMEN, le GPM aborde ces 2 aspects de l'irradiation aux travers de 3 thématiques:

  1. Vieillissement des matériaux de structure des réacteurs à eau pressurisée
  2. Développement des matériaux des réacteurs nucléaires de demain
  3. Implantation ionique pour optimiser les propriétés des surfaces

 

Vieillissement des matériaux de structure des réacteurs à eau pressurisée

 

Une partie de ces recherches entrent dans le cadre du laboratoire commun EDF-CNRS EM2VM (Etude et Modélisation des Mécanismes du Vieillissement des Matériaux). Elles visent à comprendre les mécanismes à l'origine du vieillissement sous irradiation ou en température des aciers utilisés dans les réacteurs à eau pressurisée et à corréler, dans la mesure du possible, l'évolution de la microstructure et des propriétés mécaniques.

 

  • Aciers des cuves : La cuve d'un réacteur à eau pressurisée étant un composant non-remplaçable, elle peut être un facteur limitant de la durée de vie d'un réacteur. Les travaux menés ici visent à comprendre et anticiper l’évolution de la microstructure des aciers faiblement alliés (bainitiques) sous irradiation (transformations de phases, ségrégation inter et intragranulaire, rôle des hétérogénéités métallurgiques, effet du flux et des particules incidentes) et son impact sur les propriétés mécaniques (dureté, température de transition…) à fluence élevée. (Projets en cours: contrat industriel avec EDF, Projet H2020 SOTERIA, Projet NEEDS SAFETY).

 

  • Structures internes des réacteurs : Les structures internes sont constituées d'aciers inoxydables austénitiques. En service, ces aciers vieillissent dans le milieu primaire sous irradiation et sous contrainte. Il s'agit ici d'étudier la formation de défauts étendus (boucles de dislocations, cavités), des ségrégations et des transformations de phases sous irradiation participant à la fissuration par corrosion sous contrainte et de corréler l'évolution de la microstructure au durcissement du matériau. (Projet SUPERMEN)

 

  • Circuit primaire : Les aciers inoxydables austéno-ferritiques constituent les coudes moulés du circuit primaire des centrales de génération II. Ils sont utilisés en raison de leur caractère inoxydable, de leur bonne résistance à la rupture par choc. Cependant, il a été révélé à l'usage que ces aciers vieillissent et voient leur propriétés mécaniques se dégrader en raison des transformations de phases qui ont lieu dans la ferrite : formation de zones riches et pauvres en Cr interconnectées (décomposition spinodale) et précipitation de la phase G, phase intermétallique de taille nanométrique, principalement enrichie en Si, en Ni et en Mo. Il s'agit ici d'étudier l'influence des éléments d'alliages sur la cinétique de vieillissement et l'influence des phases formées sur les propriétés mécaniques. (contrat industriel avec EDF)

 

  • Activités de Benchmarking: La sonde atomique est aujourd'hui une technique incontournable pour l'étude du vieillissement sous irradiation des aciers. Les données de sonde atomique permettent d'identifier les mécanismes de vieillissement, fournissent des informations quantitatives pour la modélisation de l'évolution de la microstructure et pour les modèles de durcissement. Il est donc essentiel de vérifier que les données obtenir par les différents groupes dans le monde sont cohérentes et d'identifier les possibles sources d'erreur. Dans cette optique, le GPM participe activement à 3 benchmark regroupant les spécialistes internationnaux de l'étude des effets d'irradiation par sonde atomique (NUGENIA APLUS, MAI "benchmark on vessel steels", EPRI "Round robin on austenitic stainless steels")

 

Développement des matériaux des réacteurs nucléaires de demain

La réalisation des prochaines générations de réacteurs nucléaires (Génération IV, fusion) impose de développer des matériaux résistants à des conditions de température et d'irradiation plus sévères qu'aujourd'hui. Les travaux menés dans cette thématique ont pour but de comprendre comment optimiser les microstructures de ces matériaux, de déterminer les mécanismes de vieillissement en température ou sous irradiation ainsi que de comprendre  dans quelle mesure les irradiations modèles (particules chargées, haut flux) permettant d'atteindre des fluences élevées peuvent être extrapolées au cas réel des irradiations aux neutrons.

Ces travaux contribuent aux recherches menées dans le cadre du Joint Project on Nuclear Materials (JPNM) de l'European Energy Research Alliance (EERA). L'EERA est une alliance de centres de recherche européens et d'universités. Le GPM via l'ERMEN (C. Pareige) coordonne la recherche menée dans le sous-programme "Modélisation physique et expérience orientées pour la modélisation des matériaux de structure" soit 25 organismes de recherche issus de 14 pays européens.

 

Les activités du GPM autour des réacteurs du futur concernent différents types d'aciers.

  • Aciers ferritiques-martensitiques à haute teneur en Cr pour réacteurs de 4ème génération et la fusion nucléaire. Ces aciers ont une meilleure résistance au gonflement et une meilleure conductivité thermique que les aciers austénitiques mais ils souffrent de deux problèmes qui limitent leur fenêtre d'utilisation en température : la fragilisation à basse température (T<350°C) et le fluage à haute température (T>550°C). Le GPM étudie le phénomène de fragilisation à basse température avec notamment des études focalisées sur la compréhension du rôle des impuretés sur l'évolution de la microstructure sous irradiation– Eurofusion Enabling Research NANOHARDENING, H2020/M4F, projet pilote ICAR (JPNM), projet pilote SLIPLOC (JPNM)

 

  • Aciers renforcés par dispersion d’oxydes: Ce sont des aciers ferritiques ou ferritiques martensitiques renforcés par une fine et dense dispersion d'oxydes nanométriques afin d'améliorer leurs propriétés de traction à haute température et leur résistance à l'irradiation. Ils sont élaborés par métallurgie des poudres. Le GPM étudie la microstructure de ces aciers afin de mieux comprendre les relations procédés d'élaboration/microstructure, la précipitation des oxydes, leur stabilité en température et sous irradiation ainsi que l'évolution de la microstructure sous irradiation: décomposition a/a', formation d'amas de solutés… (FP7 Matisse, Eurofusion IREMEV).

 

  • Matériaux à grains ultrafins : Le vieillissement sous irradiation trouve son origine dans la sursaturation de défauts ponctuels issus des collisions entre particules incidentes et atomes du matériau. Les matériaux à grains ultrafins, du fait de la très forte densité de puits de défauts (joints de grains) qu'ils contiennent sont susceptibles de mieux résister à l'irradiation que des matériaux conventionnels. Le GPM travaille, en étroite collaboration avec USUATU, au développement et l'étude de tels matériaux par nanostructuration par déformation plastique intense (EraNet-RUS NANODE)

 

  • Développement d'aciers F/M résistants à l'irradiation et au fluage par traitement thermomécaniques (TM): Une limitation de l'utilisation des aciers F/M est liée à leurs propriétés de tractions à température élevée. Une piste pour améliorer ces propriétés de traction est de renforcer le matériau en faisant précipiter de manière contrôlée des carbures. Le GPM travaille sur cette thématique (relation microstructure/traitement TM, stabilité des carbures) au sein du Projet pilote CREMAR (JPNM).

 

  • Simulation des irradiations aux neutrons par l'irradiation aux ions: l'accessibilité limitée aux réacteurs expérimentaux permettant de mener des irradiations aux neutrons, ainsi que l'activité des échantillons, le coût très élevé et le temps important des irradiations aux neutrons, conduit la communauté à mener des irradiations avec des sources alternatives comme les ions. Cependant, il apparait clairement que l'utilisation des ions comme particules de substitution ne permet pas de reproduire les irradiations aux neutrons, des problèmes de transférabilité des résultats apparaissent. Il est donc essentiel d'identifier les limites de telles irradiations, d'identifier et comprendre les problèmes de transférabilité afin de développer des stratégies nous permettant d'extrapoler les résultats obtenus et ainsi obtenir des informations équivalentes aux irradiations aux neutrons.

H2020/M4F, SMORE II (IAEA), Défis NEEDS, projet pilote IOANIS (JPNM)

 

  • Aciers austénitiques inoxydables standards et avancés: Les aciers austénitiques inoxydables sont candidats pour de nombreuses structures des réacteurs de 4ème génération. Selon leur utilisation, ils seront soumis à un vieillissement thermique à température moyenne (~500°C) sur de longues durées (60 ans) ou à des irradiations à des doses élevées (200 dpa). Le GPM est impliqué dans différents projets visant à comprendre l'évolution des microstructures de ces aciers sous irradiation ou en température. Projet H2020 GEMMA, projet pilote MARACAS (JPNM), projet pilote SLIPLOC (JPNM), Projet NEEDS MULTIDEED

 

  • Tungstène: L'utilisation du tungstène est envisagée dans les futurs réacteurs utilisant la fusion nucléaire (ITER, DEMO). Il est important dans ce matériau de quantifier les phénomènes à l'origine du gonflement sous irradiation (formation d'amas lacunaires). Le GPM (équipe de recherche en instrumentation scientifique) développe actuellement la microscopie ionique en 3 dimensions (FIM 3D) susceptible de visualiser, à l'échelle atomiques des amas lacunaires de petite taille. Cette technique est appliquée au W irradié. (Eurofusion IREMEV)

 

Implantation ionique pour optimiser les propriétés des surfaces

 

L’implantation ionique est un procédé de traitement de surface permettant de modifier la composition chimique et la structure superficielle d’un matériau en y faisant pénétrer des ions. Suivant la nature du substrat et de l’ion implanté, certaines propriétés, mécaniques, tribologiques ou chimiques de la surface, telles que la dureté, la résistance à l’usure, à la fatigue ou la résistance à la corrosion peuvent ainsi être optimisées sans pour autant modifier les propriétés de cœur du matériau.

 

Le laboratoire est doté d’un implanteur ionique (Hardion+ de Quertech Ingénierie) composé d’une source de type ECR et d’un micro-accélarateur d’ions permettant de générer un faisceau d’ions multichargés et d’implanter à température controlée divers type d’ions. Les travaux menés dans ce cadre consistent à mettre en évidence les modifications structurales et chimiques induites par l’implantation ionique sur divers métaux et alliages, principalement d’ions Nx+ et à les correler avec les modifications de propriétés mesurées.

 

  • Les alliages de cuivre : Les alliages de cuivre sont couramment utilisés pour l’élaboration de contacteurs électriques. Les propriétés de conduction électrique, de tenue mécanique (notamment en fatigue mais aussi d’usure) et à la corrosion sont centrales dans ce type d’application afin de prévenir les défaillances. Un contrat de collaboration de recherche, établi entre le GPM et la société Quertech Ingenierie (dorénavent intégrée au groupe IONICS), vise a étudier l’effet de l’implantation ionique d’azote sur les propriétés de surface du cuivre et d’étudier la stabilité, en température et en condition d’emploi, des modifications structurales et chimiques induites par l’implantation.